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Vers plus d'ingénierie de l'acceptabilité et de dialogue
Stéphane Panin, président du comité régional Auvergne-Rhône-Alpes de l'AITF, a relayé cet appel en mettant l'accent sur l'ingénierie de l'acceptabilité. En rappelant le courage des élus locaux face à des conceptions de projets souvent questionnés dans leur efficacité, il propose par exemple que « les appels d’offre accordent autant de points sur l'ingénierie de l'acceptabilité que sur l'ingénierie technique » pour que les entreprises ne souffrent plus de projets contestés, refusés ou retardés.
Pascal Blachier, délégué régional Auvergne-Rhône-Alpes de Syntec Ingénierie, a enrichi ce tableau en appelant à des « allers-retours » constants entre les capacités de faire des entreprises, les besoins des maîtres d'œuvre et la faisabilité réelle. « Convaincre le public, c'est un vrai débat », a-t-il déclaré. Les bureaux d'études doivent être à l'écoute des réalités opérationnelles et promouvoir le dialogue entre les porteurs de projets et les publics impactés qui paient le prix des nuisances.
Anticiper les controverses pour développer une stratégie de dialogue 
Refusant de réduire le débat public à un simple « pour ou contre », Fabrice Hamelin, professeur de sociologie à l’Université Paris-Est Créteil, a présenté l’acceptabilité comme une « notion aux contours flous et parfois controversée », née dans l’industrie extractive canadienne et souvent accusée de servir une forme d’ingénierie du consentement.
L'acceptabilité ne consiste pas à avoir l'assentiment de tous. Elle désigne la capacité des porteurs de projets à anticiper les controverses pour développer une stratégie de dialogue.
Fabrice Hamelin a évoqué les défis écologiques et climatiques qui érodent la légitimité des porteurs de projets et autorités. « Cette transition demande de gérer de front contraintes technico-économiques et dynamiques sociales », a-t-il expliqué, posant l'acceptabilité comme critère décisionnel potentiel, à côté de celui de la technique – un signe d'institutionnalisation lent mais progressif en France, comme en témoigne la saisie du CESE en 2021 par Jean Castex sur l'acceptabilité des projets de transition écologique compte tenu des résistances locales aux infrastructures vertes.
Un permis social d'opérer
Fabrice Hamelin a défendu une vision démocratique : anticiper les résistances grâce aux délibérations participatives permet d’obtenir un « permis social d'opérer », essentiel au-delà des autorisations légales, enraciné dans les usages territoriaux. « L'idée est de co-construire une définition consensuelle de l'intérêt général », a-t-il insisté, via des outils variés – incitations financières, expérimentations, clauses de revoyure, concertations – tout en alertant sur les soupçons de « civic washing ». Il a appelé à associer le public, à s'appuyer sur les élus pour le leadership et les professionnels pour l'explication, acceptant que l'opposition soit normale et que la stratégie passe par la persuasion et la redéfinition des projets. « Expliquer, convaincre, mobiliser des soutiens, c'est mener un travail politique au sens noble ! »
La confiance se construit dans la durée, en petits comités ou en porte-à-porte
Marie Leugé Maillet, directrice de l'agence Tact, a complété cette analyse par une approche pragmatique de l'intégration territoriale des projets sensibles. « Notre métier, c'est de créer les conditions du dialogue pour en faire des leviers de réussite », a-t-elle déclaré, insistant sur l'anticipation méthodique : comprendre les dynamiques locales, acteurs associatifs, politiques et usagers (riverains, environnementalistes, randonneurs…Etc.)
Avec lucidité face aux risques d'opposition, elle a identifié trois enjeux : une gouvernance par instances de suivi durable pour délibérer tout au long du projet ; une communication pédagogique pour partager enjeux et contraintes ; et une concertation ciblée, claire sur les marges de discussion malgré les limites techniques ou réglementaires.
« La confiance se construit dans la durée, en petit comité, en réunions, par le porte-à-porte ou la tenue de permanences », a-t-elle précisé, notant que l'acceptabilité relève souvent de la « non-acceptabilité » (processus réactif) amplifiée par des cas extrêmes comme les ZAD, mais résolue localement par un dialogue authentique et une action terrain. « Travailler avec beaucoup de sincérité sur les enjeux de chacun sur le territoire est la meilleure façon de se prémunir, contre les risques d'opposition et de blocage du projet, sans baguette magique », a-t-elle ajouté, conseillant d'analyser le territoire pour éviter des démarches stériles et gagner du temps.
Agir malgré les oppositions, c’est possible.
Lors de la table ronde, les intervenants ont démontré, par des exemples concrets, qu'il est possible de réaliser des projets d'envergures et ce malgré parfois de fortes oppositions localement.
Importance du porte-parole et des relations avec la presse
Anne-Laure Gaultier, responsable communication chez Eiffage Concessions pour l'A412, a plaidé pour une communication « multicanal » : sites web, réseaux sociaux, presse régionale et porte-parole, « qui va représenter votre projet et parler avec les publics sans adopter un vocabulaire technique qui créerait de la suspicion ». « Aujourd'hui, on intègre également la dimension du sabotage et du harcèlement ; il faut former le personnel », a-t-elle averti.
Elle souligne également l’importance d’instaurer des dialogues réguliers avec l'État, les communes et la presse pour « pouvoir leur transmettre des messages à un moment donné ou les inviter sur le terrain pour montrer la qualité de vos actions ». Il est nécessaire de faire un travail de pédagogie et d'humanisation afin de ne pas rester dans des constructions intellectuelles.
Redéfinir l’intérêt général pour remporter l’adhésion
Yves Nicolin, maire de Roanne et président de Roannais Agglomération, a partagé l'exemple de l'A89, contestée puis embrassée : « la contestation naît de la méconnaissance ; il faut expliquer et tenir bon. » Selon lui, il est nécessaire de redéfinir ce qu’est l’intérêt général et de discerner si la constestation est une addition d'intérêts particuliers ou bien la défense réelle de l'intérêt général. Il cite en exemple l’installation des six éoliennes roannaises, financées publiquement à 31 millions d'euros et aujourd'hui acceptées.
Lancé en 2015, ce parc a été mis en service fin 2023 et officiellement inauguré le 23 juillet 2025, sans polémique notable, ce qui en fait un cas rare en France.
En plus de l’enquête publique, les éoliennes ont fait l’objet d’un porte-à-porte auprès des habitants dans un rayon de 1 km autour de la zone d'implantation, de 4 ateliers thématiques sur le terrain, de la co-construction d’une charte de bon voisinage et de la diffusion de 6 lettres d’information. « Cela a pris du temps, mais nous avons remporté l'adhésion des habitants. Et aujourd'hui, nous avons une véritable acceptation du projet. L'inaction auraît coûté plus cher », a-t-il martelé, évoquant le « tribunal populaire » amplifié par les réseaux sociaux qui contribuent à 80 % de l'opinion.
L'ingénierie technique au service de la multimodalité
Généralement, « un projet routier entraîne un certain chamboulement » souligne Virginie Willaert, directrice solutions pour la Transition Energétique et Environnementale chez Egis et membre de Syntec Ingénierie, « il faut être préparé et accepter de ne pas tout savoir et de pouvoir revenir sur le projet. Les projets neufs en Route sont les plus contestés, les plus challengés et… les plus challengeants » La Route doit être vue comme un levier et un maillon possible dans la multimodalité.
Virginie Willaert a promu l'humilité de sa profession en précisant que l'ingénierie technique doit aller vers le public, expliquer et ne pas rester dans sa tour d'ivoire. C’est tout le sens du récent Livre Blanc « L’éco-conception, la signature de l’ingénierie » publié par Syntec Ingénierie qui met en lumière les avancées de la profession dans les domaines de l'éco-conception, de la biodiversité, de la décarbonation et de l'analyse du cycle de vie des infrastructures.
Soulignant le poids du collectif, Virginie Willaert a incité l’ensemble des parties prenantes à résoudre ensemble cette équation complexe : « Pourquoi on fait ? Pour qui ? Quels sont les bénéfices pour le plus grand nombre ? », soulignant que les maîtres d'ouvrage intègrent désormais la performance environnementale aux projets, avec l’attribution de primes carbone.
Les études environnementales, un atout pour le dialogue
Claire Garaud, avocate en droit urbanisme et environnement au cabinet Aedis Avocats, a insisté sur la nécessité d'associer l'avocat le plus en amont possible. Avec des évaluations environnementales qui font entre 300 et 600 pages, le travail de l’avocat est essentiel pour élaborer la pédagogie du projet. « Le porteur de projet doit être capable de parler tant au grand public qu’au juge administratif. » Avoir un avocat dès la conception du projet permet d’accélérer les process avec les préfectures et les autorités compétentes.
Selon elle, les études environnementales devraient être mieux exploitées, et ce dès le début du projet, pour que son impact positif sur la nature soit perçu auprès du grand public comme un atout, et que la question de l’environnement ne soit pas vécue comme une contrainte, source d'opposition.
Une volonté politique forte et du courage
En conclusion, Jean-Pierre Paseri, président de Routes de France, a rappelé l'utilité persistante de la route - contribuant pour 85 % à la mobilité des personnes, et pour 90 % à la mobilité des marchandises, soit le chaînon le plus important – avec une perception stable malgré les critiques, visant rapidité et multimodalité du transport.
« Quand un projet est validé post-concertation, il faut y aller ! Et pour cela, il faut une volonté politique locale forte, du courage et un soutien national. Le rôle des entreprises est également très attendu ! Elles doivent trouver des solutions techniques pour améliorer le projet au cours de sa construction, inventer des nouveaux produits et méthodes afin d’être capable de décarboner les travaux de construction et de maintenance », a-t-il affirmé, citant les objectifs de la feuille de route décarbonation de la Profession, qui vise une baisse de 55% des émission CO2 d'ici 2030 versus 1990.
La construction routière de 2025 n'a plus rien de commun avec 1990, a-t-il noté, appelant à raccourcir les délais de procédures sans pour autant supprimer les étapes essentielles de la concertation.
Ces échanges ont ouvert des pistes concrètes : intégrer l’acceptabilité pour instaurer un dialogue durable, développer des partenariats en faveur d’infrastructures multimodales et résilientes, et valoriser une filière décarbonée au service des territoires. En repensant la manière de conduire les projets routiers, cette rencontre dessine les contours de l’acceptabilité des projets.
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